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“Sixième Suisse”: la Suisse au centre du complot par Stéphane Barbey dans Vigousse

Italien établi dans le canton de Vaud, le journaliste Federico Rapini écrit en français, sa langue d’élection. Il publie un ambitieux premier roman (plus de 600 pages) bien dans l’air du temps, qui brasse de nombreux thèmes ayant agité la planète depuis l’avènement de l’ère Trump : fake news, complots, manipulations médiatiques, récupérations, post-vérité, populisme et autres joyeusetés sont au programme de Sixième Suisse.

Ramassis de haineux

Le système narratif est complexe, avec une multitude de personnages naviguant dans différents univers. Il y a d’abord la petite ville bernoise de Berthoud, Burgdorf en allemand, où évolue une association de nazillons sans envergure baptisée Honneur et Patrie. Leurs activités principales consistent à boire des bières en vomissant leur fiel sur les étrangers, à se disputer entre eux et à chercher un bon prétexte pour faire parler d’eux. Ce ramassis de crapules mal assorties comprend notamment Jonas, le chef, jeune employé de banque prometteur obsédé par le grand remplacement ; Chrigu, le second, musclé et castagneur de Turcs à ses heures perdues ; Eva, mère célibataire complotiste jusqu’à la moelle, qui rêve de renverser Jonas ; Paolo, l’intello échoué là par hasard, qui rédige les communiqués du groupe tout en se faisant houspiller par le chef. Honneur et Patrie pense avoir trouvé la cause qui va la propulser sur le devant de la scène lorsque la Confédération décide d’implanter un centre de réfugiés à Berthoud.

Piratage à New Burgdorf
De l’autre côté de l’Atlantique, à la Maison-Blanche, le président Gus Kolven (un sosie de Donald Trump) et sa progéniture sèment le chaos dans l’administration avec pour unique rempart le chef de cabinet Oscar Spencer, seul adulte dans la pièce, qui doit également batailler contre le conseiller occulte Conor Byrne (dont le modèle est Steve Bannon) qui a juré d’avoir sa peau.
Enfin, à New Burgdorf, petite ville tranquille fondée au XIXe siècle sur la côte de Rhode Island par des colons suisses, l’adjoint de police Gray et la maire démocrate Gene Yard préparent les festivités du 4 Juillet. Mais les discours officiels sont interrompus lorsque des inconnus piratent la sono et diffusent un message pour le moins étrange : un groupe baptisé Sixième Suisse réclame l’indépendance de la localité et son rattachement à la Suisse !
Cet événement incongru qui ressemble fort à un canular va toutefois déclencher une réaction en chaîne incontrôlable. Le président Kolven y voit une bonne diversion pour que les médias parlent d’autre chose que de ses ennuis judiciaires, l’alt-right entrevoit la possibilité d’organiser des
manifestations qui peuvent tourner à l’émeute, et du côté de Berthoud, les fachos d’Honneur et Patrie imaginent un rapprochement transatlantique avec cette mystérieuse Sixième Suisse qui pourrait les amener dans la lumière.

Déballage et emballement
A ce dispositif qui multiplie les points de vue et les changements de décor, Federico Rapini rajoute encore des posts tirés des réseaux sociaux, des extraits de podcasts et des articles de journaux. La trame est donc dense. Mais l’exercice est maîtrisé et l’on ne se perd pas dans ce foisonnement qui sert à décortiquer les mécanismes d’un emballement médiatique et des récupérations en tout genre dont notre société de l’information est devenue coutumière. Si le sujet a tout d’une farce, Rapini a choisi de ne pas pousser son récit sur le chemin de l’humour débridé. C’est satirique, certes, mais ça reste mesuré, surtout au regard de ce que la réalité a pu nous offrir ces dernières années. Suivant son goût, on pourra regretter ou non que l’histoire demeure finalement assez sage

Merci à Stéphane Babey pour cette critique parue dans l’indispensable VIGOUSSE.

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